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INTERVIEW | Gaspard Koenig : « Que chacun puisse décider de la manière dont ses données sont utilisées »

Publié le par Fabrice Donnadieu - mis à jour le

Présenté comme l’un des principaux promoteurs des idées libérales en France, Gaspard Koenig est auteur, philosophie et créateur du think tank GenerationLibre. Ses propositions sur l’utilisation des données personnelles et sur l’éthique du web sont particulièrement pertinentes.

En janvier 2018, avant l’entrée en vigueur du Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD), le think tank GenerationLibre que vous avez fondé et que vous présidez a publié un rapport intitulé « Mes datas sont à moi ». Vous y défendez notamment l’idée que les GAFA devraient rétribuer leurs utilisateurs pour l’exploitation de leurs données. Des économistes et intellectuels, comme Glen Weyl ou Yuval Harari, diffusent le même message. Où en est cette initiative ? Un an après, avez-vous les mêmes idées sur ce sujet ?

Ce rapport avait reçu un accueil assez négatif mais a obtenu du retentissement. Depuis nous travaillons sur deux nouveaux rapports dans la même lignée. Alors que le premier rapport était d’approche juridique, le deuxième s’intéressera plus au comportement des utilisateurs et au marché de la concurrence, sous l’angle de la mise en application du RGPD. Le troisième consistera en une étude plus économétrique sur l’évaluation du prix de la donnée qui est un grand sujet de controverse. Il y a des études qui suivent aux États-Unis et nous sommes notamment en contact avec Glen Weyl. J’ai aussi rencontré des gens qui travaillent sur le sujet de manière plus discrète comme Alain Bensoussan, un avocat plaidant pour la propriété des données sans en faire une théorie. Il y a eu un amendement déposé par Bruno Bonnell, député la République en Marche visant à rendre chacun propriétaire de ses données. Il y a un rejet total de l’écosystème juridique français traditionnel – Conseil d’Etat, CNIL, Gouvernement- mais en revanche il y a des individualités rebondissant sur cette idée et surtout j’ai été frappé de recevoir toutes les semaines depuis la publication de ce rapport des e-mails de jeunes entrepreneurs qui lancent des petites boites sur la monétisation de la donnée personnelle. Je n’avais pas réalisé à l‘époque que la Tech est un terrain de pré-droit qui va devoir clarifier ce qui est une situation de fait. Dans le reste du monde cela bouge pas mal suite à l’affaire Cambridge Analytica avec notamment une tribune publiée dans le Financial Times plaidant pour la propriété des données en réponse aux manipulations. Politiquement, l’avancée la plus importante est venu par Gavin Newsom, Gouverneur de Californie, dans son grand discours annuel State of the State address du 12 février dernier. Il a expliqué que les données des citoyens devaient être rémunérées par une sorte de dividende numérique. C’est encore flou mais l’idée est bonne.

Que pensez-vous du récent manifeste de Mark Zuckeberg sur l’évolution de Facebook ?

C’est le contre-pied de son précédent message publié il y a un an où il disait que l’objectif de Facebook était de former une global community en donnant aux gens les moyens de s’autogérer. Il déclare dorénavant que ce n’est pas à Facebook  de décider des critères de la liberté d’expression mais que c’est le rôle de l’Etat même si après le massacre de Christchurch en Nouvelle-Zélande, Facebook à suspendu les comptes d’extrémistes blancs. Zuckerberg s’est dit « je ne peux pas continuer à recréer moi-même le premier amendement » et décider ainsi de ce qu’on la droit ou pas de dire. Il essaye ainsi de sortir de l’idée de responsabilité sociale de l’entreprise qui était au début sympathique mais qui place Facebook en position de législateur. Il est ingérable de s’occuper des comptes, cagnottes ou messages de chacun en définissant soi-même les critères du bien et du mal. Dans ce dernier manifeste, il a conscience que la régulation ne peut pas être nationale et tout comme la data, l’environnement ou le nucléaire c’est une régulation au niveau mondial qui sera efficace. Zuckerberg ne résout pas la question de la propriété des données mais interroge. Il a raison de poser le problème au niveau international. Nous avons traduit notre rapport et attendons l’élection du nouveau parlement européen pour le porter à Bruxelles car c’est là que cela se joue.

Le principe de « Privacy by design » de l’article 25 du Règlement Général de la Protection des Données (RGPD) intitulé « Protection des données dès la conception et protection des données par défaut » prévoit que les entreprises doivent désormais intégrer la protection des données à caractère personnel dès la conception de projets rattachés au traitement des données. Une avancée positive selon vous ?

Oui mais ce que je souhaiterais c’est que chacun puisse décider pour lui-même contractuellement vis-à-vis de l’entreprise de la manière dont ses données soient utilisées ou non. Plutôt que d’avoir quelque chose qui est généralisé à l’ensemble des entreprises, il faudrait que cela soit traité de manière patrimoniale. Quand vous achetez un objet connecté aujourd’hui, vous ne savez absolument pas où vont les données. Le législateur essaye de mettre du « Privacy by design » là dedans mais quand vous achetez une voiture, toutes vos coordonnées GPS vont directement au constructeur. Je ne souhaite pas que l’on interdise aux constructeurs automobiles d’utiliser mes données GPS, ce que je souhaite c’est l’on puisse négocier l’usage que l’on fait des données au même titre que l’on choisit la couleur ou les options de son véhicule. Je voudrais que cette privacy soit gérée de manière individuelle par le contrat et non pas au niveau collectif par le droit de la personne. Les deux n’étant pas incompatibles. Il ne faut pas oublier que le big data et l’intelligence artificielle ont une forte valeur ajoutée profitable à tout le monde mais chacun doit pouvoir gérer en amont l’usage de ses données.

Avec le goût pour le bio, la recherche d’éthique, l’exigence de transparence, est-ce que le rapport entre entreprise et client change ? Peut-on vraiment parler d’entreprise citoyenne et de consommateur responsable ?

Je me méfie énormément de cette volonté de moraliser les comportements et en l’occurrence ceux des consommateurs. Je crois encore à la loi. La morale est une affaire de comportement individuel. Je m’inquiète beaucoup de voir des entreprises qui au nom de la morale commencent à effectuer une forme de censure. La plateforme musicale Spotify avait publié une charte d’éthique affirmant notamment que les chansons aux paroles discriminatoires ne serait pas publiées. Spotify a reçu des pétitions de féministes exigeant de retirer les chansons d’Eminem  et d’artistes équivalents. Spotify a dû retirer en catastrophe sa charte d’éthique. En termes de droit, tout ce qui n’est pas interdit est permis. Cela permet les dérives, de la diversité, des divergences, des choses un peu folles ou qui choquent. Quand on intègre la morale dans une entreprise et que l’on se soumet à une opinion publique fluctuante, extrêmement agressive et maintenant générée par les réseaux sociaux, on restreint le champ de l’expression.

Ces changements entrainent-ils des nouvelles responsabilités pour les directeurs marketing ? Considérant que ceux-ci cherchent à vendre toujours plus, leur métier doit-il évoluer ?

Si l’Etat fait son travail, les directeurs marketing n’ont qu’à vendre leurs produits dans le cadre de la loi. Prenons l’exemple de l’environnement que tout le monde veut sauver. C’est un sujet si complexe qu’aucune entreprise ne peut avoir une vue globale de ce qui est bon pour l’environnement ni déterminer réellement son impact. Les seuls qui en sont capables sont les experts et les Etats. Il faut que les entreprises résistent à la tentation de se substituer aux lois parce qu’elles n’en ont pas la compétence.

Que cette morale provienne du peuple ou des entreprises, les lois en sont le plus souvent issues non ?

Le but de la civilisation est de séparer la loi et la morale. La loi permet aux individus de coexister harmonieusement et la morale est une affaire individuelle. Il y a beaucoup de lois sociétales qui me gênent. Prenons l’exemple de Decathlon avec son hijab pour courir. Decathlon est une entreprise qui a beaucoup poussé la responsabilité sociale des entreprises. Avec ce hijab, Decathlon vend un produit parfaitement autorisé par la loi mais on force Décathlon à retirer son produit de la vente. Decathlon s’est pris dans le piège qu’il a lui-même contribué à créer. Ce n’est pas à Décathlon de déterminer si le hijab est conforme ou non à la laïcité, c’est à la loi de 1905. Les gens devraient protester contre l’Etat pour interdire le hijab de course dont je pense que l’interdiction serait une très mauvaise chose. Or les gens protestent contre Décathlon puisque l’on a laissé les entreprises réguler les comportements sociaux. C’est infernal car les entreprises doivent alors tout recréer : le droit de l’environnement, la laïcité, le droit de la data, la liberté d’expression et sous des critères extrêmement flous. L’Etat de droit permet de passer devant un juge, d’avoir une jurisprudence, des critères assez précis. Dans le cas du hijab de Decathlon, quels sont les critères ? Les tweets ? Les likes ? C’est l’émotion du moment et c’est le pire. C’est ce qui conduit au lynchage populaire. Je suis pour une société où l’on puisse discuter ensemble via la représentation politique. Si on pousse jusqu’au bout cette responsabilité sociale des entreprises que la loi Pacte encourage, on demande à chaque entreprise de refaire le contrat social. 

Les données sont au cœur des débats et des convoitises dans le domaine du marketing, est-ce la nouvelle richesse ? 

C’est une richesse depuis longtemps puisque l’on estime que les données personnelles vaudront 8% du PIB européen d’ici 2020. La question que je pose est : à qui va cette richesse ? A celui qui agrège les données, c'est-à-dire aux entreprises qui les traitent ? Cette richesse ne doit-elle pas aussi revenir à ceux qui la produisent en émettant ces données, c’est à dire vous et moi ? Qui fournit la matière première et pourquoi cette matière première n’est pas rémunérée ? Que l’agrégateur soit rémunéré parce qu’il a créé un produit à valeur ajouté est tout à fait légitime mais la chaine de valeur commence avec l’individu qui a produit la donnée. C’est donc cette richesse qu’il faut redistribuer à ceux qui produisent cette valeur et que l’on fait travailler gratuitement. Quand vous utilisez Alexa (assistant vocal d’Amazon) qui enregistre l’ensemble de vos conversations et fournit des services assez nuls, la valeur que vous donnez à Alexa est immense parce que Amazon l’utilise pour parfaire ses algorithmes de natural language processing. Amazon a besoin de quantité de data phénoménales et enregistre les conversations de l’ensemble de ses utilisateurs. Quand vous parlez dans votre salon avec Alexa à côté, vous travaillez gratuitement pour Amazon. C’est cela qui n’est pas normal.

 

Dans une récente interview au Figaro, vous avez déclaré que «Les réseaux sociaux sont une forme de féodalisme 2.0» et vous les avez quitté en juillet 2018. Pourquoi ce départ ? N’y a-t-il pas des moyens de prendre du recul sans quitter les réseaux sociaux ?

Le féodalisme 2.0 s’applique à l’ensemble des entreprises qui utilisent des données. On livre l’ensemble de la valeur et on retire un service gratuit comme le serf livrait toute sa production au seigneur en échange de sa protection. Quand on comprend que l’on est à ce point manipulé, que l’on sait que des entreprises embauchent des neuroscientifiques qui savent exactement comment exciter les zones de récompense du cerveau et vous tiennent en haleine par le biais du like ou retweet et que l’on prend conscience de cette addiction, alors on en est dégouté. Il y a quand même des réseaux qui ne fonctionnent pas sur ce principe et je continue à utiliser Linkedin mais plus Twitter ni Facebook. Je ne suis pas contre le principe du réseau social mais j’attends des réseaux sociaux alternatifs. J’ai lu qu’Instagram envisageait de supprimer les likes et je trouverais cela excellent. Comme ces entreprises ont besoin de données, elles vous maintiennent dans un état de tension pour que leur business model soit soutenable afin de vous retargeter ensuite par des moyens publicitaires. C’est nocif pour la société et c’est aussi une arnaque. 

 

L’éthique et la vertu sont désormais des sujets centraux du web et des réseaux sociaux. N’est-il pas paradoxal pour un libéral affirmé et revendiqué comme vous d’imposer des règles dans un espace où chacun est libre de se rendre ou pas ?

C’est une confusion bien commune mais les marchés ont des règles. La régulation est née sur les marchés.  Pour échanger il faut des règles communes. C’est ainsi que l’on a fait les premières régulations sur les poids et les mesures. La régulation n’est pas opposée à l’échange et elle est elle-même au cœur du marché. Pour que ce marché soit libre, il faut qu’il y ait un droit de propriété garanti par l’Etat puis ensuite la régulation qui va autour. C’est d’ailleurs pour cela que les traités de libre échange et les traités européens sont si compliqués.

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Rapport Data : 

"Pour une patrimonialité des données personnelles" Génération Libre, 01/2019

01 / 03 oct. 2024 Biarritz

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